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  SOCRATE




Un sage entre tous dans la cité


Socrate représente « le » philosophe par excellence. Il fut l’homme par lequel la philosophie tout entière a été changée. Même plus, celui qui l’a fait naître en tant que discipline, en tant que processus de pensée rationnel, méthodologique, orienté vers la recherche systématique de la vérité. Ce curieux bonhomme, adulé par une partie de la jeunesse athénienne, formant autour de lui une cour mouvante et assistant avec ravissement à ses joutes orales, était détesté, vomi par une bonne part des adultes. A trop chercher le vrai, on se fait vite des ennemis, surtout si on s’amuse à faire tourner en bourrique les interlocuteurs, si prestigieux soient-ils, en leur mettant le nez dans leurs contradictions. Donner tort aux gens, en public qui plus est, c’est blesser gravement leur amour-propre, et susciter en eux une haine qui ne demandera que la première occasion pour s’exprimer. Or, Socrate, pendant des années, ne fait que ça : vexer les susceptibilités. Son ami Chéréphon ayant couru à Delphes demander « Socrate est-il le plus sage des mortels ? » et la pythie lui ayant répondu que oui, il s’empresse, ravi, de porter la réponse à Socrate. Ce dernier, très surpris, car il s’estime très ignorant – « je sais que je ne sais pas » est une de ses devises fétiches – décide d’en avoir le cœur net, de vérifier par lui-même. Ainsi commence sa fameuse « enquête » auprès des athéniens. Il va interroger chacun de ceux qu’il juge savant, parce qu’il le suppose tel ou que lui-même s’autoproclame tel, et le soumet au jeu de ses insidieuses petites questions. Questions qui démontent, par subtiles touches, le degré de cohérence des réponses, et démontrent que le prétendu savoir de l’interlocuteur n’est la plupart du temps qu’un jeu de cartes, un fatras d’opinions sans fondement, et partant sans valeur. Touché mortellement et publiquement dans son orgueil, socialement humilié, l’interlocuteur, qui contrairement à Socrate préfère son prestige, son honneur, sa richesse, à toute recherche de vérité, n’attendra que son heure pour pendre sa revanche. De fait, le petit homme laid, grand agitateur de concepts et de rationalité, grand perturbateur de conformisme, de certitudes confortables, se comparant volontiers lui-même à un « taon qui pique la croupe de la jument de la ville », morigénant ses habitants, les empêchant de s’endormir, de s’encroûter dans leurs préjugés, sera traduit en justice et condamné à mort en – 399.

La pratique de la philosophie, on le voit, n’est pas innocente. On peut y laisser des plumes. Les plumes multicolores et bariolées qu’on arbore usuellement en public, à la surface des choses et de nous-même ; celles dont on se sert pour parader auprès des autres, vaniteusement, faire étalage de nos qualités si vantées, celles qu’on agite pour se rendre intéressant, ces opinions qu’on a sur tout, et qu’on exprime à tort et à travers, quand bien même on n’aurait aucune idée ni aucune expérience du sujet dont il s’agit. Philosopher, nous apprend Socrate, c’est se dépouiller des artifices de la parole, du paraître verbal, pour aller chercher, rigoureusement, derrière les apparences, grâce au discours rationnel, ce qui nous semble juste, vrai, cohérent. En général, un « vrai » philosophe se moque d’être médiatique ou non : seule l’intéresse la vérité, l’exigeante, l’aride vérité, qui se dérobe au fur et à mesure qu’on l’approche, mais dont on devine peu à peu le visage radieux une fois dissipé le brouillard de l’ignorance. Ce visage, contrairement à son disciple Platon plus tard, qui en vérité dénaturera partiellement le message du maître à son profit, Socrate ne prétend pas l’atteindre : il déblaie juste le chemin qui y conduit des gravats qui l’encombrent. Ce qui est déjà énorme, et constitue la voie royale de toute philosophie, une voie ouverte, non dogmatique : faire « tomber », après examen rationnel, les opinions, préjugés, considérations, insuffisants sur le plan logique, qu’on avait érigés en vérités mais qui s’avèrent erronés, pour laisser la place à la vérité, voilà la tâche que s’assigne le philosophe. Philosopher, c’est donc se dépouiller de ces éléments de pensée – ces aliments de pensée – auxquels chacun de nous s’est souvent attaché car ils font partie de son histoire personnelle, sont fréquemment hérités de l’enfance, légués par nos parents, notre milieu, tout enrobés d’affectivité. En renonçant à une opinion qui trouve ses racines dans l’enfance, on peut éprouver la douloureuse impression de renoncer à une partie de nous-même, une impression de grand vide, assurément déstabilisante, puisqu’on découvre que ce qu’on avait cru jusque-là est faux ; qu’une partie de notre vie, d’une certaine façon, a reposé sur du mensonge ; d’autant plus déstabilisante, qu’à l’image de Socrate, la personne qui nous guide sur la voie de la philosophie, ne remplace l’opinion perdue par rien. Socrate, grand démolisseur d’opinions fausses, grand faiseur de vide, vous laissait libre de cheminer avec lui sur le chemin de la vérité, sans pour autant vous proposer des solutions toutes faites, comme tant de penseurs après lui. Ces derniers nous servent, sous forme de système, un prêt à penser bien cohérent et bien confortable pour l’esprit. A croire qu’ils n’ont pas réellement compris Socrate, anti-dogmatique par excellence, ou pas su résister à l’envie de se réfugier -  se rassurer ? - dans une explication figée des choses. Socrate, au contraire, est la pensée vivante, la pensée en mouvement, continuellement inscrite dans l’instant (raison peut-être pour laquelle il n’a rien écrit, rien figé sur la tablette), celle qui assume l’instabilité, le fait de ne pas savoir, d’être simplement en chemin, d’avoir pour compagnons de route des questions, des points d’interrogation, et non des réponses définitives.


Le temple d’Apollon, à Delphes, où les Grecs venaient consulter la pythie - celle-là même qui déclara à Chéréphon que «personne n’était plus savant» que son ami Socrate (photos J.Donadini).

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